Il y a 5 ans, Irazu ouvrait les portes de l’espace au Costa Rica
Il y a 5 ans, Irazu ouvrait les portes de l’espace au Costa Rica
© ACAE

publié le 06 avril 2023 à 08:23

1115 mots

Il y a 5 ans, Irazu ouvrait les portes de l’espace au Costa Rica

Le 2 avril 2018, un vaisseau-cargo Dragon livrait à la Station spatiale internationale le premier satellite du Costa Rica, déployé quelques semaines plus tard dans l’espace pour une mission dédiée à l’environnement.


Une fusée Falcon 9 de SpaceX décolle le 2 avril 2018, emportant le vaisseau cargo Dragon CRS-14 (Commercial Resupply Service-14), pour une mission de service de réapprovisionnement de la Station spatiale internationale (ISS). Fourni également par SpaceX, Dragon rejoint l’ISS le 4 avril et y reste amarré jusqu’au 5 mai suivant. Dans les soutes du cargo se trouvent 2 647 kg de fret, dont quatre petits satellites appelés à être largués à l’aide du système de déploiement orbital Nanoracks se trouvant dans le module japonais Kibo : RemoveDebris, un minisatellite de l’Agence spatiale européenne (100 kg) qui doit tester une technique d’élimination de débris, et trois cubesats – de l’université de Nairobi au Kenya (1KUNS-PF), de l’université technique d’Istanbul en Turquie (Ubakusat) et de l’institut technologique du Costa Rica (Irazu).

 

L’initiative de l’ACAE

Grâce à l’avènement des cubesats (nanosatellites cubiques) – imaginés par des universitaires américains permettant à des étudiants de développer rapidement (avec des composants existants) de petits satellites à coûts limités et dont les normes sont adoptées à la fin des années 90 – de nombreux centres de recherche, y compris des nations aux capacités modestes comme le Costa Rica, peuvent ainsi accéder à l’espace.

L’initiative spatiale costaricienne revient à l’Association centraméricaine de l’aéronautique et de l’espace (ACAE – Asociación Centroamericana de Aeronáutica y del Espacio), fondée en 2009. Pour les fondateurs, l’ACAE doit être « une organisation à but non lucratif dont l'objectif est d'inspirer les talents centraméricains afin de développer le domaine aérospatial dans la région ». Pour cela, l’ACAE multiplie les contacts et recherche des coopérations. En guise de démonstration, pour montrer « la capacité des peuples d’Amérique centrale à développer un projet spatial », un programme de satellite appelé Irazu, initié dès 2009, entame sa phase de développement à partir de mars 2017 sous la conduite de Luis Diego Monge (directeur de projet). Pour le réaliser, un partenariat est engagé entre l’ACAE, l’Institut de technologie du Costa Rica (TEC) et des entreprises costariciennes (CCK, Grupo Purdy Motor, EY, INS Joven, etc.) avec l’aide de fonds privés (via Kickstarter) et gouvernementaux, pour un coût total de 500 000 dollars (américains).

 

Un satellite au service de la cause environnementale

Le programme scientifique prévu pour Irazu est défini et mené par une quinzaine d’enseignants-chercheurs et étudiants portant sur l’étude environnementale de l’Amérique centrale, une thématique qui tient à cœur le Costa Rica, nation pionnière dans la protection des milieux naturels. Situé entre deux masses océaniques, ce petit pays dispose d’une faune et flore exceptionnelles (6% de la biodiversité mondiale) un temps menacées (dans les années 1980). Depuis plusieurs années, les gouvernements y sont sensibles au point de faire de la question environnementale la vitrine nationale. Ainsi, la loi sur la biodiversité (1998) permet au Costa Rica de classer « zone protégée » environ 25 % de son territoire, un des pourcentages les plus élevés de la planète, avec l’ambition de parvenir d’ici peu à zéro émission de carbone.

 

Les caractéristiques du projet Irazu

Le projet Irazu, en référence au volcan du même nom situé dans la cordillère centrale du Costa Rica au cœur du principal parc national du pays, aboutit à un satellite, dont le format est un cubesat de 10 centimètres de côté pour une masse totale de 1 kg. Certes modeste, le satellite doit néanmoins acquérir des données afin de mieux comprendre l’environnement fragile de la région, en mesurant la température, l’humidité ou encore la fixation du dioxyde de carbone. Avant d’être intégrés au satellite, les instruments sont testés à l’aide de ballons météorologiques dans la stratosphère. Réalisé en six mois, le satellite est ensuite envoyé en octobre 2017 au Japon à l’Institut de technologie de Kyushu qui en assure les tests (vibratoires et thermiques) et la certification, puis il est confié à l’agence spatiale japonaise (Jaxa) qui le livre à la Nasa chargée du lancement par l’intermédiaire de la compagnie SpaceX.

 

Lancement et déroulement de la mission

Après être arrivé dans la station, le satellite est déployé dans l’espace depuis Kibo le 11 mai 2018 (avec deux autres nanosatellites Ubakusat et 1KUNS-PF), par l’astronaute japonais Norisihige Kanai. Une fois sur orbite, il est baptisé « Batsu CS-1 », signifiant colibri en Bribri une langue Chibchane (et CS pour CubeSatellite), suite à un appel à concours réalisé quelque temps auparavant.

Se trouvant sur une orbite sensiblement équivalente à celle de l’ISS (400 km), Batsu fonctionne durant six mois, communiquant les données recueillies à la station expérimentale de San Carlos et à la station de surveillance de la TEC à Cartago. Celles-ci permettent de déterminer le taux approximatif de fixation du carbone des forêts du Costa Rica, mais aussi d’avoir des informations sur le taux d’humidité des sols, la croissance des arbres ou encore les précipitations. La traînée atmosphérique perturbant fortement le satellite, elle entraîne progressivement sa baisse d’altitude jusqu’à ce qu’il entre dans l’atmosphère et se consume le 4 mars 2020 dans les couches denses.

 

Un parc national pour l’humanité

Fort du succès du programme Irazu qui permet aussi d’initier des étudiants aux technologies spatiales, l’ACAE compte susciter des vocations et trouver des partenariats afin d’engager d’autres missions spatiales. Par ailleurs, celle-ci coopère aussi avec Ad Astra Rocket Company, entreprise costaricienne créée en 2005 (localisée à la fois dans l’université privée EARTH près de Liberia au Costa Rica et à Webster au Texas), pour le développement de la technologie avancée de propulsion à plasma, et dont le président est le physicien (des plasmas), ingénieur (mécanique) et ancien astronaute américain d’origine costaricienne Franklin Chang-Diaz. Astronaute chevronné, celui-ci a effectué entre 1986 et 2002 sept vols à bord des navettes spatiales américaines, record du nombre de voyages dans l’espace (qu’il partage avec Jerry L. Ross). Il a également joué un rôle de conseiller (avec d’autres scientifiques) pour le projet Irazu.

Attentif à l’aventure spatiale et à l’environnement, Franklin Chang-Diaz les considère comme deux causes majeures pour un meilleur avenir pour l’humanité : « Mon rêve ou ma vision est un avenir pour l’humanité où nous serons complètement libres de poursuivre des activités en dehors de notre planète. La Terre deviendra alors une sorte de parc national de l’humanité, une zone protégée où nos enfants et leurs enfants pourront tous revenir et connaître et apprécier la beauté d’où sont venus leurs ancêtres ».

 

Quelques références

- Un article en ligne : « Central American Association for Aeronautics and Space Crowdsourcing First Satellite Project », Caleb Henry, 14 avril 2016

- Une étude : « Irazu : CubeSat, Mission, Architecture and Development », Marco Gomez Jenkins, Julio César Calvo-Alvarado, Adolfo Chaves Jiménez et Johan Carvajal-Godinez, communication au 67ème Congrès international d’astronautique, Guadalajara, Mexico, septembre 2016.

- Le site de l’ACAE.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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06/04/2023 08:23
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Il y a 5 ans, Irazu ouvrait les portes de l’espace au Costa Rica

Le 2 avril 2018, un vaisseau-cargo Dragon livrait à la Station spatiale internationale le premier satellite du Costa Rica, déployé quelques semaines plus tard dans l’espace pour une mission dédiée à l’environnement.

Il y a 5 ans, Irazu ouvrait les portes de l’espace au Costa Rica
Il y a 5 ans, Irazu ouvrait les portes de l’espace au Costa Rica

Une fusée Falcon 9 de SpaceX décolle le 2 avril 2018, emportant le vaisseau cargo Dragon CRS-14 (Commercial Resupply Service-14), pour une mission de service de réapprovisionnement de la Station spatiale internationale (ISS). Fourni également par SpaceX, Dragon rejoint l’ISS le 4 avril et y reste amarré jusqu’au 5 mai suivant. Dans les soutes du cargo se trouvent 2 647 kg de fret, dont quatre petits satellites appelés à être largués à l’aide du système de déploiement orbital Nanoracks se trouvant dans le module japonais Kibo : RemoveDebris, un minisatellite de l’Agence spatiale européenne (100 kg) qui doit tester une technique d’élimination de débris, et trois cubesats – de l’université de Nairobi au Kenya (1KUNS-PF), de l’université technique d’Istanbul en Turquie (Ubakusat) et de l’institut technologique du Costa Rica (Irazu).

 

L’initiative de l’ACAE

Grâce à l’avènement des cubesats (nanosatellites cubiques) – imaginés par des universitaires américains permettant à des étudiants de développer rapidement (avec des composants existants) de petits satellites à coûts limités et dont les normes sont adoptées à la fin des années 90 – de nombreux centres de recherche, y compris des nations aux capacités modestes comme le Costa Rica, peuvent ainsi accéder à l’espace.

L’initiative spatiale costaricienne revient à l’Association centraméricaine de l’aéronautique et de l’espace (ACAE – Asociación Centroamericana de Aeronáutica y del Espacio), fondée en 2009. Pour les fondateurs, l’ACAE doit être « une organisation à but non lucratif dont l'objectif est d'inspirer les talents centraméricains afin de développer le domaine aérospatial dans la région ». Pour cela, l’ACAE multiplie les contacts et recherche des coopérations. En guise de démonstration, pour montrer « la capacité des peuples d’Amérique centrale à développer un projet spatial », un programme de satellite appelé Irazu, initié dès 2009, entame sa phase de développement à partir de mars 2017 sous la conduite de Luis Diego Monge (directeur de projet). Pour le réaliser, un partenariat est engagé entre l’ACAE, l’Institut de technologie du Costa Rica (TEC) et des entreprises costariciennes (CCK, Grupo Purdy Motor, EY, INS Joven, etc.) avec l’aide de fonds privés (via Kickstarter) et gouvernementaux, pour un coût total de 500 000 dollars (américains).

 

Un satellite au service de la cause environnementale

Le programme scientifique prévu pour Irazu est défini et mené par une quinzaine d’enseignants-chercheurs et étudiants portant sur l’étude environnementale de l’Amérique centrale, une thématique qui tient à cœur le Costa Rica, nation pionnière dans la protection des milieux naturels. Situé entre deux masses océaniques, ce petit pays dispose d’une faune et flore exceptionnelles (6% de la biodiversité mondiale) un temps menacées (dans les années 1980). Depuis plusieurs années, les gouvernements y sont sensibles au point de faire de la question environnementale la vitrine nationale. Ainsi, la loi sur la biodiversité (1998) permet au Costa Rica de classer « zone protégée » environ 25 % de son territoire, un des pourcentages les plus élevés de la planète, avec l’ambition de parvenir d’ici peu à zéro émission de carbone.

 

Les caractéristiques du projet Irazu

Le projet Irazu, en référence au volcan du même nom situé dans la cordillère centrale du Costa Rica au cœur du principal parc national du pays, aboutit à un satellite, dont le format est un cubesat de 10 centimètres de côté pour une masse totale de 1 kg. Certes modeste, le satellite doit néanmoins acquérir des données afin de mieux comprendre l’environnement fragile de la région, en mesurant la température, l’humidité ou encore la fixation du dioxyde de carbone. Avant d’être intégrés au satellite, les instruments sont testés à l’aide de ballons météorologiques dans la stratosphère. Réalisé en six mois, le satellite est ensuite envoyé en octobre 2017 au Japon à l’Institut de technologie de Kyushu qui en assure les tests (vibratoires et thermiques) et la certification, puis il est confié à l’agence spatiale japonaise (Jaxa) qui le livre à la Nasa chargée du lancement par l’intermédiaire de la compagnie SpaceX.

 

Lancement et déroulement de la mission

Après être arrivé dans la station, le satellite est déployé dans l’espace depuis Kibo le 11 mai 2018 (avec deux autres nanosatellites Ubakusat et 1KUNS-PF), par l’astronaute japonais Norisihige Kanai. Une fois sur orbite, il est baptisé « Batsu CS-1 », signifiant colibri en Bribri une langue Chibchane (et CS pour CubeSatellite), suite à un appel à concours réalisé quelque temps auparavant.

Se trouvant sur une orbite sensiblement équivalente à celle de l’ISS (400 km), Batsu fonctionne durant six mois, communiquant les données recueillies à la station expérimentale de San Carlos et à la station de surveillance de la TEC à Cartago. Celles-ci permettent de déterminer le taux approximatif de fixation du carbone des forêts du Costa Rica, mais aussi d’avoir des informations sur le taux d’humidité des sols, la croissance des arbres ou encore les précipitations. La traînée atmosphérique perturbant fortement le satellite, elle entraîne progressivement sa baisse d’altitude jusqu’à ce qu’il entre dans l’atmosphère et se consume le 4 mars 2020 dans les couches denses.

 

Un parc national pour l’humanité

Fort du succès du programme Irazu qui permet aussi d’initier des étudiants aux technologies spatiales, l’ACAE compte susciter des vocations et trouver des partenariats afin d’engager d’autres missions spatiales. Par ailleurs, celle-ci coopère aussi avec Ad Astra Rocket Company, entreprise costaricienne créée en 2005 (localisée à la fois dans l’université privée EARTH près de Liberia au Costa Rica et à Webster au Texas), pour le développement de la technologie avancée de propulsion à plasma, et dont le président est le physicien (des plasmas), ingénieur (mécanique) et ancien astronaute américain d’origine costaricienne Franklin Chang-Diaz. Astronaute chevronné, celui-ci a effectué entre 1986 et 2002 sept vols à bord des navettes spatiales américaines, record du nombre de voyages dans l’espace (qu’il partage avec Jerry L. Ross). Il a également joué un rôle de conseiller (avec d’autres scientifiques) pour le projet Irazu.

Attentif à l’aventure spatiale et à l’environnement, Franklin Chang-Diaz les considère comme deux causes majeures pour un meilleur avenir pour l’humanité : « Mon rêve ou ma vision est un avenir pour l’humanité où nous serons complètement libres de poursuivre des activités en dehors de notre planète. La Terre deviendra alors une sorte de parc national de l’humanité, une zone protégée où nos enfants et leurs enfants pourront tous revenir et connaître et apprécier la beauté d’où sont venus leurs ancêtres ».

 

Quelques références

- Un article en ligne : « Central American Association for Aeronautics and Space Crowdsourcing First Satellite Project », Caleb Henry, 14 avril 2016

- Une étude : « Irazu : CubeSat, Mission, Architecture and Development », Marco Gomez Jenkins, Julio César Calvo-Alvarado, Adolfo Chaves Jiménez et Johan Carvajal-Godinez, communication au 67ème Congrès international d’astronautique, Guadalajara, Mexico, septembre 2016.

- Le site de l’ACAE.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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